Contexte
Au Québec, les conjoints de fait ne bénéficient actuellement pas des mêmes droits que les couples mariés [1]. En effet, les conjoints mariés bénéficient de l’application légale de nombreuses dispositions d’ordre public, notamment les règles relatives au partage du patrimoine familial et à la pension alimentaire pour époux [2]. Un régime matrimonial légal s’applique également par défaut aux époux mariés qui ne signent pas de contrat de mariage [3].
En revanche, les conjoints de fait n’ont pas droit aux réclamations de pension alimentaire pour conjoint et de partager la valeur des biens appartenant à l’autre conjoint lors de la rupture. Ils doivent conclure une entente pour bénéficier de ces protections, car aucun régime juridique ne s’applique automatiquement à eux. Bien que la pension alimentaire pour enfant soit applicable aux enfants issus d’une union de fait, ceux-ci se retrouvent souvent plus affectés négativement de la rupture de parents non mariés puisque l’un d’eux se retrouvent régulièrement dans une situation économique précaire.
La distinction entre les droits des époux mariés et ceux des conjoints de fait fait l’objet de discussions et de débats depuis longtemps au Québec, notamment depuis l’arrêt de la Cour suprême du Canada Éric c. Lola [4] rendu en 2013. Une réforme législative sur ce sujet était attendue depuis de nombreuses années.
Application de la Loi
Le 30 juin 2025, la Loi sur la réforme du droit de la famille et instituant le régime d’union parentale (la « Loi ») entrera en vigueur et créera un nouveau régime juridique pour certains conjoints de fait.
La Loi vise, en partie, à combler l’absence de cadre juridique pour certains conjoints de fait et à mieux protéger leurs enfants. Plus précisément, le nouveau régime d’union parentale cherche à offrir de meilleures protections juridiques aux conjoints de fait qui deviennent les parents d’un même enfant né à partir du 30 juin 2025, vivent ensemble, et se présentent publiquement comme un couple [5].
La Loi crée donc une distinction entre les enfants nés avant et après le 30 juin 2025. Elle ne protège toutefois pas les conjoints qui n’ont pas d’enfants.
Modifications apportées par le nouveau régime
La nouvelle loi introduit notamment les changements suivants :
1. Création d’un patrimoine d’union parentale
À la fin de l’union parentale, la valeur nette du patrimoine d’union parentale sera partagée également entre les conjoints ou entre le conjoint survivant et les héritiers, de façon similaire à ce qui se fait en vertu des règles relatives au partage du patrimoine familial. Ainsi, le patrimoine d’union parentale comprendra, dès sa constitution, les biens suivants dont l’un ou l’autre des conjoints en est le propriétaire : les résidences de la famille ou les droits qui en confèrent l’usage, les meubles qui garnissent ou ornent ces résidences et qui servent à l’usage du ménage, ainsi que les véhicules utilisés pour les déplacements de la famille. Toutefois, les droits accumulés au titre d’un régime de retraite seront exclus du patrimoine.
La valeur nette des biens acquis avant l’union parentale, par héritage ou par donation, ainsi que l’augmentation proportionnelle de leur valeur, pourra être déduite du partage du patrimoine.
Les conjoints de fait pourront également modifier la composition du patrimoine, ou se soustraire complètement de son application d’un commun accord en signant un acte notarié dans les 90 jours suivant le début de l’union parentale, afin que le patrimoine soit réputé n’avoir jamais existé.
Il sera également possible pour les conjoints de s’y retirer après le délai mentionné ci-dessus, mais ce retrait prendra effet uniquement le jour de l’acte notarié le constatant, et ils devront partager également la valeur de leur patrimoine d’union parentale.
Contrairement aux dispositions d’ordre public du patrimoine familial, les couples peuvent donc se soustraire au régime de l’union parentale.
2. Règles relatives à l’usage de la résidence familiale
En cas de séparation, un conjoint pourra demander l’usage exclusif de la résidence familiale et des meubles qui servent au ménage pour une certaine période. Contrairement aux couples mariés, le conjoint de fait devra toutefois faire cette demande dans les 120 jours suivant la fin de l’union parentale.
3. Réclamation d’une prestation compensatoire
Les conjoints de fait dans une union parentale pourront demander une prestation compensatoire pour leur appauvrissement découlant de leur contribution en biens et/ou services à l’enrichissement du patrimoine de l’autre conjoint pendant l’union. Ce recours est déjà accessible aux couples mariés, mais sa définition sera élargie afin d’inclure les conjoints en union parentale.
Il est à noter que les conjoints de fait pouvaient déjà obtenir une compensation en intentant un recours en enrichissement injustifié, qui se voulait le dernier et seul recours possible pour un conjoint de fait et qui pouvait s’appliquer dans diverses situations, même hors relation amoureuse.
Cela dit, la Loi permet désormais au conjoint de fait qui réclame une prestation compensatoire de demander une provision pour frais, afin de couvrir une partie de ses honoraires d’avocats. Il s’agit d’un important avancement.
4. Règles en matière de succession
La Loi prévoit que les conjoints de fait en union parentale peuvent hériter lorsque l’autre conjoint décède sans testament (ab intestat). Le conjoint survivant recevra un tiers de la valeur nette de la succession, tandis que les enfants recevront les deux tiers restants. Il s’agit d’un changement important par rapport à la loi actuelle, qui ne permet au conjoint survivant sans testament d’hériter que s’il est marié.
Le montant dû au titre du partage du patrimoine d’union parentale devra être versé au conjoint survivant avant tout règlement de la succession.
Pour toute question ou pour obtenir de plus amples renseignements sur le nouveau régime d’union parentale, n’hésitez pas à contacter l’un de nos avocats, qui saura vous conseiller.
Références
- Cet article ne réfère pas à l’union civile.
- Arts. 415 et 585 C.c.Q.
- Arts. 448 et suiv. C.c.Q.
- Éric c. Lola, 2013 CSC 5
- Projet de loi 56